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Le Commencement.
Je grimace lorsque la pointe de l’aiguille transperce ma peau, mais soupire de plaisir en sentant la solution chimique couler dans mes veines. Le cauchemar va recommencer. Je regarde par la fenêtre de ma petite chambre obscure et me demande une fois de plus si j’arriverais à vaincre un jour, puis vais ranger ma seringue dans le deuxième tiroir à droite de mon bureau. Quelques minutes plus tard, je m’endors.
Mon monde est un monde parfait. Un monde qui sent bon le magnolia en fleur et la figue qui mûrit au soleil, un monde où tout un chacun est poli et respectueux, un monde où chaque personne se trouve sur un pied d’égalité avec son voisin. Personne n’est exclu, tout le monde est intégré. C’est génial, me direz-vous, une véritable utopie. Là est tout le problème. Une utopie n’a pour rôle que celui d’être un fantasme, elle se doit d’être pensée en long en large et en travers mais de rester fictive. L’utopie a cette particularité de se transformer en dystopie au contact de la réalité, et le monde dans lequel je vis ne déroge pas à la règle. Il est parfait, mais sa perfection cache sa perversion, son inhumanité et sa cruauté. Car toute perfection a un prix, et ce prix est bien souvent trop important par rapport à ce que l’on y gagne.
- AlIs, réveille-toi.
J’ouvre les yeux doucement et tourne la tête en direction d’ElIott. C’est mon petit robot de TEA, Traduction Entièrement Automatisée, qui fait aussi office de réveil, de lecteur de musique et de meilleur ami. Vous devez vous dire que ma vie craint si mon meilleur ami est un robot ayant la forme d’une tête de chat de dix centimètres de hauteur. Vous avez raison.
Je file dans ma minuscule salle de bains pour faire ma toilette et jette un regard distrait au miroir craquelé accroché -par je ne sais quelle magie- au mur en face de ma cabine de douche. Mon visage ressemble à un prototype raté de la série CatLovers 2.0. Il tient d’eux ses yeux en amande étirés, aux pupilles presque verticales et à l’iris vert sombre. Mes sourcils fins sont souvent légèrement froncés et mon regard demeure froid et vague la plupart du temps. Ma bouche est aussi pleine et bien dessinée que celles des modèles 2.0, mais contrairement aux leurs la mienne s’étire très rarement en sourire. Je n’ai pas le temps pour ça. Ma peau est sans taches et mon nez légèrement en trompette. Bref, j’aurais tout aussi bien pu être un robot donneur d’amour pour fétichistes en manque, il n’aurait fallu changer que mon regard et l’espèce de froideur qu’il paraît que je dégage, malgré mes cheveux couleur de feu. Secouant la tête, je me jette dans la cabine et attend patiemment que le laser fasse son office. L’eau n’est disponible que dans les quartiers riches de la ville… Et elle est bien trop précieuse et dangereuse pour se laver avec. Après ma toilette, je m’habille le plus sobrement possible – pantalon de toile foncé, débardeur noir et pull de laine synthétique noir également- et file en cours. Il ne faudrait pas que je rate la Leçon d’Histoire. Ça m’attirerait des ennuis. Et tout le monde sait que je ne veux pas d’ennuis…
[notes : Note : AlIs se lit Alice ; ElIott se lit Eliott ; X se lit ix ; Gabriel se lit Gabriel]
(à suivre...)